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Keny Arkana
19 novembre 2006

Interview MetroFrance "Qu'on esquive Sarkozy"

La rappeuse marseillaise balance son nouvel album, "Entre ciment et belle étoile". A écouter en podcast.

iyhfix6rgnasztcmaxhuatx1y1dxqi2Keny Arkana se bat contre la mondialisation, les neuroleptiques, les mauvais éducateurs... Son rap appelle une prise de conscience. Photo: N.R./Metro

A écouter

L'entretien avec Keny Arkana en podcast (24 minutes, via iTunes)

Est-ce que tu peux te présenter ?
Ça, c’est la question piège… Keny Arkana, 23 ans, dix ans de rap derrière moi, dans des collectifs dont, essentiellement, Etat-Major. J’ai sorti un street CD l’année dernière, et là, je viens de sortir mon album. Voilà. Je suis de Marseille, citoyenne du monde, d’origine Argentine…

Le titre phare de ton premier album, est fait avec le collectif La rage du Peuple. Tu peux nous parler de ce collectif ?
Je dirais, pour résumer, que c’est un mouvement spontané de citoyens énervés, qui en avaient marre de refaire le monde sur un banc, et qui se sont dit : "Essayons de faire des trucs". Donc on a fait des petites actions sociales, on a voyagé pour faire différents forums… On est dans une phase d’apprentissage. Il y a pas mal de choses à savoir sur ce monde là, donc on a beaucoup échangé avec des gens d’autres luttes. C’est plutôt une vague alter-mondialiste, parce qu’aujourd’hui, tout est mondial. Donc la solution, elle est mondiale elle aussi. On essaye aussi de faire de l’information, de dé-scléroser les quelques luttes qu’il y a pu y avoir ces derniers temps en France.

Mais La Rage du Peuple, c’est aussi un état d’esprit. Ce qui est important pour nous, c’est cette conscience collective, comme on peut le voir en Amérique du Sud par exemple, alors qu’ici, c’est surtout une conscience individualiste et matérialiste que le système veut que l’on développe. On met un point d’honneur à agir local, mais penser global.
Voilà, c’est plus un mouvement et un état d’esprit qu’un collectif. C’est vraiment quelque chose qu’on vit au quotidien. Et puis il y a des antennes : on a des gens au Mexique… Et on essaie de faire un grand réseau de citoyens du monde.

Tu dis "agir local, penser global"… Toi qui vient de Marseille, où l’on sait que les banlieues ont moins flambé qu’ailleurs il y a un an, que penses tu que ta ville puisse apporter aux autres pour que cela se passe mieux à l’avenir ?
Là, c’est en train de changer, Marseille…  Mais bon. Marseille, c’est pas vraiment la France. Entre guillemets, c’est un peu le bled. C’est une petite ville où il y a un autre état d’esprit. C’est vraiment l’esprit du bled. Moi, c’est ce que j’aime là-bas. Les gens disent que ça a moins pété qu’ailleurs parce que tout le monde se connaît… C’est vrai que tout le monde se connaît, mais je crois que dans les banlieues parisiennes aussi tout le monde se connaît dans la cité.
Nous, à Marseille, on est Marseillais avant d’être Français, Algériens ou Maliens. Mais je ne peux pas vraiment dire pourquoi ça n’a pas pété. Maintenant, ce que Marseille peut apporter aux autres villes, je n’en sais rien non plus. Et comme je te dis, Marseille, c’est en train de changer…

Et Marseille change comment ?
Bah, on se fait coloniser quoi ! La mondialisation vient jusqu’à notre quartier. C’est à dire qu’aujourd’hui, c’est la spéculation immobilière : donc ça rachète des quartiers entiers et ça expulse les gens en triplant les loyers. Donc ils sont en train de nous expulser du centre ville. Gaudin est en train de se faire un petit Cannes. Il aimerait que la petite ville populaire qu’est Marseille devienne une ville touristique. Donc forcément, pour ça, il fait du ménage. Il réaménage l’espace, avec des tramways et d’autres trucs… Il fait une ville pour les investisseurs étrangers et nous, il nous expulse et nous reloge même pas. Il y a des familles qui sont depuis trente ans dans le même immeuble et qui reçoivent du jour au lendemain un avis d’expulsion. Et si tu veux pas partir, tu connais la suite : les CRS viennent te sortir. Il y a les expulsions directes, et les indirectes : quand le loyer triple du jour au lendemain. Forcément, c’est dur.

Mais pour revenir à la question précédente, je dirais que Marseille a cette spécificité par rapport aux autres villes du monde d’être une ville cosmopolite qui n’est pas ghettoisée. A Marseille, on vit vraiment ensemble. C’est vraiment une ville mondiale, une terre d’accueil. Il y a vraiment cette ambiance de port et de ville d’accueil un peu indépendante, dans l’esprit en tous cas. C’est son coté partage, échange, ouverture d’esprit que Marseille peut apporter aux autres. C’est un peu une frontière entre l’Orient et l’Occident. Tu peux connaître le monde en restant à Marseille. Je ne sais pas combien de langues tu peux apprendre juste en traînant dans les rues de Marseille, en t’ouvrant aux gens… C’est une ville super riche culturellement, artistiquement et associativement. Mais ils sont en train de nous détruire tout ça. Bientôt, ce sera du passé si on se réveille pas.

Dans "La Mère des Enfants perdus", tu prends la place de la rue, en t’adressant aux jeunes. Toi qui a vécu dans la rue, que t’a-t-elle appris ?
En positif, je dirais le développement de l’intuition, le sens de la débrouille, le sens de l’improvisation, savoir rebondir, même quand on est dans la plus grosse merde. Comme tu vis sur tes ressources à toi, tu apprends à te connaître, à connaître tes limites et tes "non-limites".
Ensuite, le coté négatif, c’est la solitude, l’engrenage. Quand tu dois te débrouiller pour manger, ça peut partir en couille pour rien. Mais dans ce morceau, je voulais aussi souligner le côté ensorceleur de la rue, l’engrenage. Beaucoup de gens ne nous connaissent pas, jugent les gens de la rue comme ça, mais les jeunes qui sont dans la rue ont avant tout des problèmes affectifs.

Tu vas chercher dehors la reconnaissance que tu n’as pas chez toi, ou que tu ne retrouves pas à l’école, ou qu’on ne te renvoie pas dans ce monde, où on te répète sans cesse que tu n’a pas ta place. Alors après, tu vas prouver devant les yeux de tes frères que tu es capable de faire ci ou ça. J’ai voulu souligner que c’est un manque d’amour et de reconnaissance, et qu’on est pas des sauvages. Mais j’ai personnifié la rue, la "Mère des enfants perdus", car quand tu es dehors, tu n’a pas conscience que c’est un manque. Tu fais tes conneries sans y penser.

Et tu essaies donc de convaincre les gamins de ne pas aller combler ce manque dehors…
J’espère que c’est ce qu’ils vont en tirer. Qu’ils se diront « Ah ouais… C’est vrai que c’est ça, la rue. Il faut que je fasse attention. » C’est quand on connaît un problème que l’on peut l’éviter. Ce qui est important, dans ce morceau, ce sont les quatre dernière phrases, qui sont des sratches : "Le laisses pas chercher ailleurs l’amour qu’il devrait y avoir dans tes yeux" comme dirait Kool Shen. Et comme dirait Fabe "La rue c’est pas ta mère, si tu crèves, elle aura d’autres enfants."

Dans un autre morceau, "Eh connard", tu t’adresses aux directeurs de centres sociaux pour jeunes. Tu y dis "j’regrette pas d’pas t’avoir écouté"… C’est pas un peu contradictoire avec la Mère des Enfants perdus ?
Non, parce que franchement, ces mecs-là ne représentaient certainement pas la morale.

Tu parles à un ou plusieurs directeurs précis, où à tous en général ?
En fait, je parle à deux mecs précis mais ils ne font qu’un dans la chanson. Je ne dis pas que tous sont des fils de pute, mais je pense qu’à 90 %, ils le sont. Excuse-moi l’expression, mais quand tu élève des gosses en leur disant "de toute façon, vous finirez en taule, vous êtes que des merdes, vous n’arriverez à rien". Quand, depuis ton enfance, on te drogue aux neuroleptiques matin, midi et soir, jusqu’à faire de toi une toxicomane… J’ai beaucoup de potes de foyers qui sont devenus toxicos comme ça, alors qu’ils ne se sont pas drogués de leur plein gré en premier… Les neuroleptiques, c’est de la drogue légale, mais c’est de la drogue.

Donc c’est clair, je ne regrette pas de ne pas l’avoir écouté, car sinon, je serais morte depuis longtemps. Jeunes des foyers, ne les écoutez pas, c’est des enfoirés. A part les vrais, et ils sont très peu maintenant, ceux qui font leur métier avec leurs tripes. Mais pour la plupart, comme il y a trente jeunes un peu instables et agités, eh bah on va les droguer et on va un peu les taper pour les tenir. Mais on ne dresse pas des enfants qui sont en manque d’affection.

La plupart de mes "frères" et "sœurs" qui étaient avec moi en foyer, aujourd’hui, ils sont soit en psychiatrie, soit en prison, soit morts, soit toxicos… Mais à la base, ce n’étaient que des enfants qui avaient des problèmes familiaux.

Moi, j’étais une fugueuse, c’est comme ça que j’ai pu un peu respirer, ne pas tomber dans cet engrenage de l’usine à toxicomanes. On est des jeunes perdus pour eux et ils n’essaient pas de nous remettre dans le droit chemin, mais de nous mettre dans des cases de jeunes perdus.

Quelles sont les structures qui essaient, aujourd’hui, de remettre les jeunes dans le droit chemin ?
Il n’y en a pas.

Les maisons de quartiers par exemple, ce n’est pas efficace ?
Ah si ! Mais là, c’est différent. Je parle pas du même genre d’institution. Et puis c’est du cas par cas aussi. Bien sûr, un foyer avec de bons éducateurs, ça doit exister. C’est comme un bon flic, ça doit exister. Mais ils sont trop minoritaires. Et moi, j’en ai jamais rencontré. Les bons éducateurs, eux-mêmes, ils se révoltent contre les pratiques des centres.

L’un des centres que j’ai fréquenté était public quand je suis arrivé et a été privatisé : eh bien j’ai senti la différence. Dans un centre privé, tout le monde est sous traitement, et fermez vos gueules. Et si tu prends pas ton traitement, on t’enferme en psychiatrie.

Qu’est-ce que tu attends des prochaines élections présidentielles ?
Qu’on esquive Sarkozy… Maintenant, aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation libérale, où l’OMC dicte les lois des pays, où la conjoncture mondiale est bien planifiée, va dans une certaine direction, peu importe le chef d’Etat que l’on aura, il faudra qu’il rentre dans cette case-là. Il n’y a plus de pouvoir national aujourd’hui. Le pouvoir économique a pris le pas sur le pouvoir politique depuis longtemps. Donc, il n’y a plus de politiques.

Malgré ça, bien sûr qu’il faut éviter Sarkozy, parce qu’il est dangereux. Appelons un chat un chat : c’est un dictateur. Le mec, il est contre la séparation des pouvoirs. Mais c’est la base de la démocratie, donc il est contre la démocratie, donc Sarkozy est un dictateur. Maintenant, esquivons la dictature, essayons d’attendre cinq ans, voire dix ou quinze ans, essayons de trouver des alternatives entre temps, mais moi, je ne crois plus dans les institutions, je ne crois plus aux politiques. C’est pas eux qui changeront les choses. Ils ont trop d’intérêts en jeu.

Par contre, moi, j’ai foi au peuple. Je vois dans d’autres pays qu’il y a des poches de résistance qui se créent, des alternatives qui se créent comme en Amérique du Sud. Je sais qu’on peut faire pareil. Il faut qu’on arrête d’avoir cette mentalité d’assistés, à croire que quelqu’un va venir nous sauver et changer les choses pour nous. Personne ne viendra. Mais le peuple peut commencer à s’organiser, à s’autogérer, à créer des alternatives. Il y en a, on peut en trouver, mais il faut que l’on avance ensemble. Il faut cette conscience collective. Comme on dit, si le droit de vote avait le pouvoir de faire changer les choses, ça ferait bien longtemps qu’il serait interdit.

Source : MetroFrance

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