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Keny Arkana
2 décembre 2006

Telerama "Portrait"


Jérôme Brézillon pour Télérama

Tête brûlée

Altermondialiste, révolutionnaire, Keny Arkana est une rappeuse militante. Qui réinvente à sa façon une poétique de la rage.

Nul besoin de fioritures. Sur scène, pas de décor : un DJ tapi dans l’ombre et Keny Arkana à portée de poing des spectateurs. Sur son bandana blanc, la jeune rappeuse de Marseille a imprimé « La rage du peuple » – sa signature et son manifeste. La rage, c’est un euphémisme. En concert comme sur disque, Keny Arkana est une cracheuse de feu qui fait flamber toutes les révoltes et douleurs d’une jeunesse calcinée. Son premier album sort un an après les émeutes de 2005 et son blues de banlieue prend la forme d’un cri glaçant : « J’viens de l’incendie / il brûle encore dans mes veines / comme si j’abritais un volcan […] mon cœur est en cendres / avec cette sale envie de tout cramer. » Keny Arkana se décrit comme une « tête brûlée », et toutes les métaphores du sinistre, de l’étincelle, de l’embrasement lui semblent bonnes pour faire entendre sa dissidence et son angoisse : « Je ne suis pas une rappeuse, mais une contestataire qui fait du rap. »
Elle s’est fait connaître cet été avec son morceau slogan La Rage, qui s’est propagé sur le Web à la vitesse de l’électricité. Son rap tendu se double d’une vidéo explosive où les images de guérilla urbaine sont montées dans l’urgence comme la bande-annonce d’une révolution en forme de brasier planétaire. « J’ai toujours considéré le hip-hop comme la voix des oubliés, dit-elle, un appel à résister… » On n’a rien vu venir d’aussi dur et désespéré depuis le NTM des années 90. Et le malentendu reste le même : dans le rap, on entend souvent l’agression, rarement la souffrance.
En 1993, NTM baptisait un de ses albums 1993, j’appuie sur la gâchette. Les médias s’affolaient d’un appel à la violence armée alors qu’il était question du suicide des jeunes. « Pour moi, il n’y a jamais eu de contresens, dit Keny Arkana. J’avais 10 ans quand je découvrais NTM ou Public Enemy et je vivais dans un foyer. La plupart des gamins autour de moi avaient déjà fait des tentatives de suicide… Je me suis mise au rap vers 12 ans. Par nécessité. J’écrivais des choses intimes qui me servaient d’exutoire et que je gardais pour moi, et des textes provocateurs pour foutre le bordel et semer la révolte. »
Les foyers, elle n’y restait jamais. Trop à cran pour se plier à l’autorité. Dès 12 ans, elle dormait dans la rue, dans des cabanes de fortune. « Ma première passion, c’est la fugue », raconte-t-elle. Ce goût de la liberté et du vagabondage « sans toit ni loi » pourrait la ranger du côté de Rimbaud (qu’elle n’a pas lu), mais elle l’a vécu à ras de bitume, entre bouches de métro, passages à tabac, cellule et camisole. Jusqu’au jour où plus personne ne lui a couru après et où elle s’est mise à vagabonder, de Rome en Espagne, de Marseille au Chiapas… Dans les voyages et les rencontres, elle a formé son caractère de militante, curieux mélange de pensée altermondialiste et de rage des cités.
Dans ses textes, Keny Arkana parle d’insurrection et de « décroissance joyeuse ». A Marseille, elle a formé un collectif militant, La Rage du peuple, qui tente, depuis les émeutes de l’an dernier, de lancer des forums politiques dans les quartiers. « Dommage qu’une telle révolte ne soit pas canalisée. On demande aux jeunes des cités de voter et d’être citoyens, mais l’accès au savoir, il faut l’arracher ! Quand on est dans le noir depuis des générations, c’est difficile : notre premier combat est contre notre propre inertie. » La révolution rap de Keny Arkana commence à l’échelle de l’individu et du quartier. Elle croit à la micropolitique comme d’autres au microcrédit. Le succès n’est pas une fin en soi, juste le moyen d’être « une anonyme dans la masse, avec un haut-parleur »

Source : Telerama

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